Une vision entrepreneuriale d’un secteur en pleine mutation

La nouvelle génération de bijoutiers prépare sa réponse !

Le monde évolue à toute allure et cela a un impact sur tous les secteurs, sans exception. Quel regard la nouvelle génération de bijoutiers jette-t-elle sur la numérisation du métier et sur le véritable boom du commerce en ligne ? Sont-ils conquis ou gardent-ils des réserves ? Nous avons posé la question à plusieurs jeunes bijoutiers !

1. Juwelier Nachtergaele, Ninove

Ce sont les grands-parents de Diether Nachtergaele qui ont ouvert la bijouterie Nachtergaele en 1944, ensuite reprise par ses parents. Enfant, Diether passait déjà beaucoup de temps dans la boutique et a reçu l’amour du métier quasiment au biberon. En 2016, il reprend, avec son épouse Leen Van Hecke, l’affaire familiale.

Nouvelle génération, vent de nouveauté ?

“Depuis la reprise, nous avons en réalité très peu modifié le magasin. Nous restons fidèles à notre clientèle et nous comptons nous y tenir. Cela dit, nous remarquons que les clients ont de plus en plus tendance à s’informer via internet et les médias sociaux. Avant, il était rare qu’un client soit prêt à se déplacer dans une autre ville pour pousser la porte d’une bijouterie. Aujourd’hui, les clients savent précisément ce qu’ils veulent et ils se rendent chez le bijoutier qui a ce qu’ils veulent en stock, même s’ils doivent aller plus loin pour cela.”

Juwelier Nachtergaele, juweliers

Comment voyez-vous l’avenir du secteur ?

“Cela fait des années que je rêve d’une meilleure collaboration entre le fabricant et le bijoutier, surtout en ce qui concerne la vente en ligne. Désormais, rares sont les fabricants qui n’ont pas leur e-shop et qui ne se focalisent pas sur la vente directe au consommateur final, si bien que le bijoutier, maillon intermédiaire, a tendance à disparaître. Son rôle se limite trop souvent à la réparation et à l’entretien des montres, au remplacement d’une pile, etc. On ne pourra pas empêcher la vente directe du fabricant au consommateur, mais nous devrions concevoir un système par lequel le consommateur indiquerait un point de service de son choix lors de tout achat en ligne. En tant que point de service, on serait agréé et remboursé par le fabricant pour les services fournis au client. Je suis très motivé en ce sens. J’ai l’impression que les fabricants y sont ouverts, mais qu’ils attendent toujours. Pourquoi ne pas encourager une collaboration plus harmonieuse ? Je verrais vraiment cela comme une situation win-win pour les deux parties.”

juwelier van der weerd, juweliers

2. Juwelier Van Der Weerd, Janssen, Zeist

Voici quatre ans, la bijouterie familiale a été vendue, si bien que Bart et Amy Millikan ont décidé de reprendre van der Weerd – Janssen, à Zeist. Cette adresse a pignon sur rue depuis près de cent ans. Bart est prêt à accueillir l’avenir à bras ouverts.

Comment voyez-vous l’expérience client en 2020 ?

“Selon moi, la clé pour réussir à l’avenir, c’est de privilégier une approche clientèle bien pensée. Maintenir un niveau de service élevé, se mettre à la place du client et être indulgent quand on peut : c’est le plus important. À côté de cela, le client exige aussi de nous un grand professionnalisme, surtout dans notre fourchette de prix. Nos clients sont intelligents et ils ont les moyens : ils attendent à juste titre une approche haut de gamme avec des explications professionnelles et complètes sur leur achat éventuel.”

Et quelle est la place des achats en ligne, selon vous ?

“Avoir un bon site internet est un must. Nous nous adressons à un public très large qui s’informe en ligne et sait ce qu’il veut. Le fait de ne pas savoir si le bijoutier aura ce que le client recherche reste sans doute pour lui le frein numéro un à l’entrée dans une bijouterie. C’est un obstacle que l’on peut supprimer en montrant en ligne l’assortiment dont on dispose. Je n’ai pas peur des grandes enseignes en ligne : elles ne nouent aucune relation avec le client au plan du micro-management, or c’est humain de souhaiter garder un contact personnel au sein de notre secteur de niche. L’anonymat de l’e-shop ne convient pas aux produits que nous vendons : les clients veulent avant tout un service. Le budget n’arrive qu’ensuite.”

Quels sont les défis qui attendent les bijoutiers ?

“Je crois vraiment que nous devons oser investir dans du personnel attentif au marketing de la boutique, en s’appuyant sur du contenu visuel et narratif. Aujourd’hui, on n’en voit peut-être pas encore l’utilité, mais il est de plus en plus important d’avoir sa propre identité. La formation de notre personnel de vente a aussi de plus en plus d’importance : le client a des exigences et chaque employé doit pouvoir répondre à ces exigences sous la forme d’une communication claire et professionnelle quand il explique un produit ou une réparation.”

Avec-vous une suggestion pour le secteur ?

“Nous sommes affiliés à GoldDesign Jewellers, un groupe de onze bijoutiers (aux Pays-Bas) qui veulent se distinguer en termes de prix, de qualité et de service par des achats et des publicités en commun. En tant que bijoutiers, on doit oser s’organiser et travailler davantage ensemble. Par exemple, en achetant ensemble des accessoires comme des sacs et des écrins. Je pense que ce serait au bénéfice de tous. »

3. Juwelier Brunott, Rotterdam

Jonas Smets est depuis huit ans le directeur de la bijouterie Brunott, à Rotterdam. Il n’a pas de préférence particulière pour la beauté des bijoux ou des montres, mais il jette un regard sobre et entreprenant sur la façon dont Brunott peut exceller en tant que bijoutier traditionnel dans un secteur soumis à une pression croissante.

Comment avez-vous commencé dans le métier ?

“Il y a vingt ans, ma belle-famille a repris le commerce de la famille Brunott. Depuis quelques années, mes beaux-parents ne tenaient plus qu’un rôle de conseil et n’étaient donc plus impliqués dans la boutique au quotidien. Mais il a fallu qu’un collaborateur s’absente pour que mon beau-père me demande si je pouvais les dépanner. Sitôt dit, sitôt fait. Entre-temps, le cousin de mon épouse et sa femme sont également arrivés, ce qui fait que nous formons à nouveau une entreprise familiale. Dans l’intervalle, nous avons ouvert une adresse supplémentaire.”

Brunott, juweliers, rotterdam

Comment vous positionnez-vous face au marché online en plein boom ?

“Il y a des tas de bijoutiers qui raccrochent, notamment à cause du succès des e-shops et des grandes chaînes. C’est pourquoi je suis toujours à la recherche du bon équilibre entre vente en ligne et vente physique, en magasin. Ça ne sert à rien de vouloir résister aux grandes chaînes. L’astuce consiste plutôt à attirer le client en boutique et à se démarquer de la concurrence. À mon avis, l’importance des magasins va augmenter, ne serait-ce, d’une part, que pour le service et l’expertise sur lesquels le consommateur peut compter, et, d’autre part, pour le lien avec les marques.”

Quel est le plus grand défi, selon vous ?

“Aujourd’hui, les gens veulent un service rapide, ils attendent des réponses à leurs questions et veulent obtenir rapidement le produit convoité, mais le client attend de nous un service nettement plus large que celui, anonyme, d’un e-shop. Cela va des explications professionnelles sur un produit au parking gratuit devant la porte. Pour offrir ce service hautement qualitatif, nous avons besoin d’employés qualifiés et expérimentés, or ils sont de plus en plus difficiles à trouver. Mais nous faisons tout ce que nous pouvons pour rendre le détour par le magasin aussi intéressant que possible en actualisant notre service, en maintenant l’équilibre dont je parlais entre les ventes en ligne et les ventes physiques, en investissant massivement dans le marketing et en gardant nos collections à jour.”

Et quid du rôle du bijoutier en tant que personne ?

“Il aura toujours son utilité. Aujourd’hui, le consommateur achète volontiers en ligne, mais il vient ensuite nous trouver pour entretenir montres et bijoux, pour notre service – ajouter ou retirer un maillon de bracelet, remplacer une pile, régler une question de garantie, etc. À côté de cela, nous vendons des bijoux vecteurs de pure émotion. Un e-shop ne pourra jamais remplacer l’expérience en bijouterie. Les bijoutiers ne vont pas disparaître tout de suite, mais j’imagine bien un autre type de collaboration avec les marques sur le long terme. Qui sait, peut-être qu’à l’avenir nous louerons notre vitrine aux marques au lieu d’acheter et de revendre des bijoux ? Nous sommes ouverts à cela. »

colman, juwelier colman, antwerpen

4. Juwelier Colman, Anvers

Passionné d’horlogerie, Fon Martens a décidé de faire de son hobby un métier à part entière. C’est ainsi que la bijouterie Colman a été reprise il y a onze ans. Avec Stella Wolf, il est aujourd’hui responsable de la gestion des magasins Colman à Anvers et Knokke, et de la boutique Messika à Bruxelles.

Comment ont évolué vos boutiques depuis la reprise ?

« Au moment du rachat, nous étions surtout connus comme magasin d’horlogerie mais, entre-temps, nous sommes devenus un bijoutier à l’offre beaucoup plus complète. On est également en train d’agrandir le magasin d’Anvers : on aura 80 m² d’espace de vente supplémentaire pour présenter nos marques de manière plus luxueuse et servir encore mieux nos clients ».

Cette expansion est-elle le signe que les achats en ligne vont impacter les joailliers classiques ?

“Nombre de clients (potentiels) ont grandi avec une enseigne. Ils deviennent clients parce que leurs parents, voire leurs grands-parents étaient déjà des habitués. On observe une certaine loyauté au sein de la clientèle mais le marché évolue : quand le client arrive en boutique, il s’est préparé et informé en amont. On constate également une différence de qualité dans les ventes en ligne, et c’est là que se situe le piège : lors de l’achat d’un diamant, le client réclame une certaine qualité dans les limites d’un certain budget, et le vendeur en ligne se met en quête du diamant le moins cher possible qui répond aux desiderata (limités) du client. Or il peut y avoir une grosse différence de prix – et de qualité – d’un diamant à l’autre. Les bijoutiers traditionnels, en revanche, doivent prendre une pièce en stock avant de pouvoir la vendre au client, si bien qu’ils déterminent leur choix de diamants en fonction de la qualité, et non du prix. Alors je pense qu’il y a un avenir pour les bijoutiers « physiques » : ils survivront à côté de la vente en ligne, entre autre parce que les gens préfèrent encore souvent voir et toucher le produit avant de passer commande.”

Quel est le plus grand défi qui vous attend ?

“Je pense que les bijoutiers vont avoir de nouvelles opportunités. Dans les années à venir, il y aura sans doute pas mal d’évolutions pour la vente multimarques au détail. Notre plus grand défi sera de maintenir nos magasins à leur niveau actuel, tant en termes d’image que de portefeuille de marques. Nous pouvons compter sur une équipe formidable qui assure un service clientèle irréprochable. Nous sommes connus pour cela et nous devons absolument conserver cet atout.”

À terme, quelles évolutions aimeriez-vous voir dans le secteur ?

“Il me semble qu’il faudrait améliorer le contrôle sur les vols de produits et sur les bijouteries malhonnêtes. Une fois qu’un gérant a été pris en flagrant délit de vente de marchandises volées ou trompeuses – par exemple, la vente de diamants d’une qualité soi-disant supérieure, ou la vente d’or 14 carats que l’on fait passer pour du 18 carats – il ne devrait plus être autorisé à exercer sa profession. C’est comme cela qu’on parviendra à garantir la pérennité de notre profession et notre survie en tant que bijoutiers. »