Plus de tolérance… et de respect

Plus personne ne peut le contester : aujourd’hui, la présence en ligne est d’une grande importance, y compris pour les produits de luxe et les commerces spécialisés dans les domaines de la bijouterie et de l’horlogerie. Mais il y a une différence essentielle entre une présence dictée par le marketing et un désir de booster les ventes directes via le canal numérique.

Il a longtemps été totalement impensable de vendre des automobiles en ligne. Aujourd’hui, les “testcase” se suivent à un rythme soutenu : du souhait tout simple, et bien innocent, d’être tenu au courant par le concessionnaire de la sortie d’un nouveau modèle, jusqu’à la possibilité de réserver, puis d’acquérir une “édition limitée”. Dans ce dernier cas, la firme BMW a fait grand bruit en annonçant que ses 4×4 produits à Munich, en Allemagne, seraient vendus sur le site internet de Lidl ! Après vérification, il s’est avéré qu’il s’agissait en fait d’un énorme deal annuel portant sur 10.000 véhicules de société destinés aux employés de Lidl. Lesdits véhicules, âgés de six mois, doivent être vendus, à prix très concurrentiel, au titre de voitures d’occasion. Est-ce répréhensible, inspirant ou juste un signe des temps ? Notre monde digital évolue à toute vitesse et ne semble guère respectueux des valeurs et procédés traditionnels.

Un peu de clarité, svp !

Maître Laurent du Jardin, avocat associé chez Janson et professeur à l’Université catholique de Louvain, insiste pour que l’on fasse une distinction entre les objectifs d’une présence en ligne, par le truchement d’un site internet. La plupart des marques de luxe – dans une grande diversité de secteurs – se servent des possibilités offertes par la communication numérique pour améliorer leur image building, faire connaître leur nom, propager leurs valeurs et le prestige de leur griffe, et aussi, indiscutablement, booster leurs ventes en glanant des clients potentiels.

Si, jadis, la production et la vente relevaient de deux secteurs strictement séparés : le “fabricant” versus le “(re)vendeur”, aujourd’hui la frontière s’estompe : la présence en ligne offre un raccourci entre producteur et acheteur.

Mais attention : cette présence en ligne des marques de luxe ne permet pas d’office l’achat direct. En général, le client continue de chercher un revendeur près de chez lui, voire n’importe où dans le monde. Celui qui souhaite faire un achat doit passer par une adresse physique, via un commerçant spécialisé jouissant de la reconnaissance et du soutien de la marque. À côté de cela, il existe des sites internet dont le (seul) but est de vendre. Les bijoutiers et horlogers spécialisés sont bien sûr libres d’affirmer leur présence en ligne – c’est même souhaitable. Ils ont envie, et c’est bien naturel, de mettre en avant leur assortiment sélectif et excluSif. Leur tout premier message online concerne donc cet assortiment – et les marques correspondantes. D’une manière générale, en Belgique, on constate que les commerçants réputés et les marques les plus prestigieuses font le choix de ne (quasi) pas mentionner les prix et de ne pas proposer d’achat en ligne, mais d’inciter le client intéressé à remplir un formulaire de demande, puis à se rendre dans un point de vente physique. A l’étranger, la situation est tout autre : on n’hésite pas à vendre en ligne des biens d’un prix (très) élevé. Mais il n’y a pas d’uniformité en la matière et certaines marques imposent leurs règles, c’est-à-dire qu’elles lient la reconnaissance en tant que distributeur d’une griffe à l’interdiction de vendre celle-ci en ligne et/ou de mentionner les prix.

Une différence essentielle

Chaque bijoutier ou horloger spécialisé a désormais la possibilité de présenter en ligne son assortiment et son expertise. Maître Laurent du Jardin souligne que, depuis plusieurs années, cela ne peut plus être légalement interdit, car ce serait restreindre le principe de concurrence. Nous vivons une époque de fusions et de partenariats, et cela se marque dans le commerce en ligne. Les “plateformes” peuvent, à cet égard, être vues comme des grandes surfaces numériques. Elles ne se contentent pas de proposer un très vaste choix de produits, elles regroupent aussi énormément de vendeurs et de commerçants. Or il convient de faire une distinction juridique entre l’offre directe et l’offre indirecte via une plateforme. Le 6 décembre 2017, la Cour europénne de justice (sise à Luxembourg) a rendu un important arrêt en la matière, explique maître Laurent du Jardin. Ce verdict résulte d’un procès intenté par Coty Germany, géant des cosmétiques luxe, contre la vente de ses produits par le biais de plateformes en ligne. Coty Germany vend principalement, voire exclusivement via son réseau de distribution sélectif et interdit aux membres de ce réseau la vente en ligne via des plateformes tierces. Or l’un des distributeurs de Coty proposait à la vente des produits de luxe tant sur son site propre que via la célèbre plateforme Amazon. La Cour de justice de l’UE a reconnu l’interdiction imposée par le fabricant de vendre autrement que par les canaux en propre et a confirmé que la distribution sélective de produits de luxe pourrait être nécessaire pour protéger l’image de marque et la qualité de ces derniers.

Une aura de luxe

Le verdict de la Cour de justice de l’UE prend en compte la possible dégradation du prestige d’une marque ou d’un produit, et la perte de rayonnement résultant d’un mélange des genres : que penser d’un parfum de luxe proposé au milieu de perceuses, brosses à dents électriques et autres tondeuses à gazon ? La sensation de luxe doit demeurer garantie, argumente maître Laurent du Jardin. La vente en ligne de produits de luxe est, certes, admise, mais dans un juste contexte, à savoir un contexte qui corresponde au mieux à l’expérience qu’entend offrir la marque ou le produit dans l’environnement naturel du commerçant ou du revendeur spécialisé. Ce dernier point recouvre une réalité subtile qui ne facilite pas la définition d’un cadre précis quant à ce qui est permis ou non. Maître du Jardin estime qu’il n’est pas acceptable de proposer des produits de luxe dans le but avéré d’augmenter le volume du chiffre d’affaires. Cette idée de “volume” étant contraire à la notion de luxe et d’exclusivité. Le client en quête de produits de luxe s’attend à un service et à une expérience d’achat qui soient à la hauteur, avec des marques et des produits à un niveau comparable. Or cela reste le terrain d’expression privilégié des commerces spécialisés : cela doit rester un atout majeur pour ce canal de distribution, s’il entend continuer à prouver sa pertinence.

Maître Laurent du Jardin insiste sur le point suivant : la vente de produits de qualité supérieure soutient la durabilité, la préservation et la pérennité de toute une série de métiers et de savoir-faire artisanaux absolument uniques.