Coup d’oeil
De l’Égypte ancienne aux people du XXIe siècle, des peuples africains à la noblesse russe, l’amour des bijoux reste commun aux hommes et aux femmes par-delà le temps et l’espace. Au fil des siècles, le métier de bijoutier a beau s’être perpétué avec brio, les professionnels aguerris le savent : leur secteur n’échappe pas à la digitalisation du monde et aux nouvelles attentes d’une clientèle exigeante.
1. Juwelier Huybrechts
Geel
Voici 36 ans Franz Huybrechts prenait la relève de son père. À quinze ans déjà, il faisait les honneurs du show-room horloger, situé au-dessus de l’appartement familial, aux acheteurs intéressés. “À l’époque, les horloges murales et de parquet avaient encore du succès. J’ai vendu ma dernière horloge en 1999, juste à temps.”
Huybrechts constate un changement majeur dans l’attitude des clients. Auparavant, ils venaient pour acheter “une” montre. La seule chose qu’attendait le client, c’était un conseil et un large choix. “Aujourd’hui, le client entre avec son iPhone à la main et me montre le modèle qu’il souhaite, la marque et la couleur.” Huybrechts se fécilite que les clients soient informés mais il a du mal à accepter la pression exercée sur les prix. “Les clients osent beaucoup plus : parfois, ils ont vu un prix plus bas en ligne et exigent que je leur accorde un rabais.”
Côté bijoux aussi, les choses ont bien changé. Il y a nettement moins d’achats spontanés. “Avant, je voyais régulièrement des personnes de 70 ans entrer par hasard, après avoir repéré une jolie bague en vitrine. Ils l’essayaient, allaient chercher de l’argent à la banque et l’achat était conclu.” Désormais, les bijoux sont davantage liés à des occasions spéciales, comme un mariage, un anniversaire, une naissance… Que le client se fasse plaisir ou achète pour autrui. “On a gardé l’idée que l’achat d’une belle pièce intemporelle est aussi un investissement pour les générations à venir.”
Les goûts du consommateur ont, eux aussi, évolué. Si le bijou symbolisait jadis un statut, aujourd’hui, c’est plus subtil. Selon Franz Huybrechts, le client considère davantage le bijou comme un accessoire capable de souligner sa personnlité. Il estime qu’en ces temps de numérisation à tout va, le bijoutier doit s’affirmer plus que jamais. Selon lui, les bijouteries de village ne dureront pas. “Mieux vaut s’installer dans une grande ville, avec beaucoup de passage, où les clients peuvent trouver dans la même rue des produits de luxe, comme les vêtements et les chaussures.” L’avenir de Huybrechts Juweliers est, quant à lui, encore un peu flou. “Mon fils pourrait encore de changer d’avis !” s’esclaffe Huybrechts.
2. Juwelier Tensen
Anvers
“Je pense être le plus vieux bijoutier encore en activité”, déclare d’emblée Marc Tensen. L’homme a fondé son enseigne éponyme en 1962, après un cursus à l’école d’horlogerie d’Anvers. Ils étaient alors 27 étudiants. “Aujourd’hui, s’il y en a dix qui sortent chaque année, c’est beaucoup.” Et pourtant, on manque terriblement d’horlogers. Le métier garde toute son importance, car, à en croire Marc Tensen, les clients apprécient toujours les belles montres mécaniques. “Les montres électroniques ont eu leur heure de gloire, mais un modèle qui a une âme sera toujours plus évocateur.” Chez Tensen, les marques les plus connues – Rolex et Patek Philippe – sont toujours les plus demandées. Au début de l’année, le bijoutier a réuni ses trois magasins en une seule enseigne superbement rénovée. Sur les septante marques que proposait Tensen, il n’en reste que vingt. “A mes débuts, il n’existait que quelques marques de montres. Aujourd’hui, le choix est immense. Nous ne voulions plus aller vers cette sur-offre. Eliminer les marques très fashion nous permet de proposer à nouveau un meilleur service en matière de conseil et d’entretien.” Cette offre surabondante pose aussi un problème aux acheteurs en ligne. Tensen remarque que sa clientèle est devenue beaucoup plus futée, grâce à internet, mais que le client apprécie toujours d’acheter sa montre en boutique.
“En ligne, on ne peut pas toucher le produit. Or le client aime savoir l’effet qu’aura sa montre au poignet.” Le public plus jeune, pourtant fan des achats en ligne, apprécie, lui aussi, les valeurs sûres dès qu’il s’agit d’un achat moins commun.
Quand on lui demande comment il entrevoit l’avenir, Marc Tensen répond comme d’autres que les petits acteurs vont sans doute disparaître et que les plus gros vont encore prendre de l’ampleur. Il ne pense pas que cela soit prêt à changer. “Les jeunes ont très envie de secouer le cocotier mais se lancer dans la bijouterie exige un gros investissement. Pour beaucoup, ce n’est même pas envisageable financièrement. Et c’est dommage, car cela rend le secteur élitiste.”
3. Nys
Courtrai
Au lendemain de la guerre, le père de Marc Nys ouvrait une petite bijouterie. En 1979, Marc, le fils aîné, a remplacé la paternel, après plusieurs années passées au sein de la société. Aujourd’hui, la troisième génération a pris la suite. Depuis 2011, Kristof Nys et sa sœur Sylvie poursuivent l’aventure familiale. Malgré la numérisation et l’arrivée des diamants synthétiques, Nys constate que les clients reviennent aux valeurs sûres. Les griffes classiques et les designs intemporels remportent un franc succès, y compris auprès des jeunes. Mais la clientèle n’est pas facile. “Les gens sont exigeants et ne veulent plus attendre. Ils espèrent sortir de la boutique avec la montre qu’ils convoitent. On constate aussi que les clients font des choix plus délibérés. On n’achète plus un bijou ou une montre par hasard. Le client sait ce qu’il cherche avant même d’entrer dans la boutique.”
Avec internet, les gens sont hyper informés : ils connaissent les prix et les différents modèles d’une marque. Mais Nys remarque aussi que le client accorde énormément d’importance à l’accueil personnalisé et à l’expérience d’achat, ce qui se traduit par les luxueuses enseignes Nys Exclusive et Nys Boutique. “Avant, c’était moins important. On venait acheter une nouvelle montre, et voilà tout. Aujourd’hui, cette démarche devient un véritable événement.”
Malgré son haut degré d’exigence, le client d’aujourd’hui n’a plus la même fidélité. Selon Nys, les bijoutiers doivent s’efforcer de créer un lien et de fidéliser leur clientèle. La maison Nys s’y efforce en améngeant ses trois filiales à destination d’un public bien spécifique, avec des collections et des marques dédiées. Nys Exclusive se concentre sur les griffes de luxe, comme Cartier et Rolex, alors que la boutique du shopping K, à Courtrai, propose des collections plus jeunes et trendy. Pour qu’une affaire se perpétue, Nys estime primordial d’aller à la rencontre des attentes du public. “Il faut traiter chaque client comme s’il était unique, lui consacrer pleinement son temps quand on le conseille. C’est un investissement avec retour immédiat”, conclut-t-il.
3. Yvan’s Jewellers
Bruxelles
Fondée voici plus de soixante ans, cette mythique horlogerie/bijouterie des Galeries Saint-Hubert, à Bruxelles, est tenue de main de maître par la 3e génération d’amoureux des beaux garde-temps et des pierres d’exception. C’est de son père qu’Yvan Friedmann tient son amour du métier d’horloger/bijoutier. Comme bon sang ne saurait mentir, deux des quatre enfants d’Yvan et son épouse, Min Chen Ho, ont rejoint l’entreprise. Jade et Ambre forment un binôme très complémentaire – la première dans la vente et le relationnel ; la seconde côté gestion et réseaux sociaux. Leur jeune sœur, gemmologue, s’apprête à les rejoindre. L’histoire d’Yvan’s plonge ses racines au milieu du siècle dernier et la troisième génération est déjà à la barre du navire familial.
Yvan’s a vu le jour en 1955, boulevard Adolphe Max, à Bruxelles, comme premier concessionnaire officiel de Rolex en Belgique. D’autres marques ont ensuite rejoint le portefeuille. Au décès du fondateur, c’est le fils, Yvan Friedmann, qui a repris les affaires. En 2004, il a eu l’opportunité de s’installer Galerie du Roi et, en 2013, d’agrandir l’affaire en ouvrant également tout à côté, Galerie de la Reine. Cette situation avantageuse, en plein centre-ville, vaut à la maison une importante clientèle étrangère, de passage, mais aussi une clientèle belge fidèle depuis les débuts et qui vient de père en fils, de mère en fille. Il faut dire que les montres de luxe sont des objets que l’on se transmet. Les clients apprécient de garder le même point de contact et de savoir qu’ils trouveront sur place le service voulu. Certains sont collectionneurs et font un investissement en achetant des montres à complications qui vont prendre de la valeur. Cela dit, tous ne spéculent pas : l’aspect plaisir garde toute son importance.
Le secteur de l’horlogerie de luxe se porte très bien, ce dont se félicite Yvan Friedmann. La maison reste fidèle aux marques qu’elle représente depuis toujours : Rolex, Vacheron-Constantin, Breguet, Omega… Parmi les plus accessibles, citons Longines et Tudor qui connaît un succès phénoménal depuis qu’elle a été redynamisée il y a trois ans… Chez Yvan’s, l’horlogerie reste prééminente par rapport à la bijouterie (80% – 20%), mais l’enseigne a bien l’intention de développer cette dernière. La boutique de la Galerie de la Reine va d’ailleurs très prochainement être agrandie. Celle de la Galerie du Roi fermera, afin de concentrer toutes les activités, y compris l’atelier, en une seule adresse.